Interview de Clara Piolatto, du collectif Faire Avec.
Armés de notre calepin et autour de deux cappuccinos, nous avons eu le plaisir, le mois dernier, de rencontrer Clara, l’une des fondatrices de Faire Avec, un collectif d’architectes engagés et préoccupés par les différents impacts que le secteur du bâtiment peut avoir sur notre société. Constituée en agence, le collectif montre qu’une autre voie est possible grâce au réemploi de matériaux, plus respectueuse de la planète et de l’humain.
Que ce soit pour la rénovation de centres d’hébergement ou la transformation de locaux associatifs, Faire Avec prouve qu’on peut allier rénovation, écologie, économie circulaire et solidarité. Composée d’Elia, Clara, Clothilde, Abirami, Gwenaëlle (et leur chien Baloo !), l’agence s’agrandit de jour en jour et porte aujourd’hui de nombreux projets de rénovation.
Clara nous raconte les débuts de l’aventure, les défis rencontrés et les succès marquants de cette belle initiative. C’est parti !
Donnons : Bonjour Clara ! Peux-tu nous présenter votre collectif, Faire Avec ?
Clara : Bien sûr ! Faire Avec, c’est un projet né d’une rencontre entre quatre architectes : Clothilde, Elia, Gwenaelle et moi. On partageait à l’époque un même espace de travail, et au fil des discussions sur la manière dont on exerçait l’architecture, des préoccupations communes ont émergé. Clothilde était déjà très sensibilisée au réemploi de matériaux et avait déjà des liens avec des structures comme le Sixième Continent et Rotor.
De mon côté, j’écrivais une thèse sur les centres d’hébergement pour les personnes sans abri. On s’est rapidement rendues compte qu’on pouvait créer des synergies : il y avait beaucoup d’opportunités de récupération de matériaux, mais très peu de débouchés et de réemploi sur le terrain ; et parallèlement il existait un besoin immense de rénovation dans les centres d’hébergement. En 2017, on a décidé d’allier nos forces pour créer Faire Avec pour répondre à ces deux problématiques !
Donnons : Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés pour réaliser vos projets d’architecture ?
Clara : Notre défi principal, c’est faire coïncider dans le temps le gisement et le débouché. Comme le réemploi fonctionne souvent par opportunité, il faut trouver des solutions pour stocker ces matériaux le temps de pouvoir trouver un chantier sur lequel les utiliser. Et à Paris, l’espace de stockage est coûteux et rare, donc il faut rester en veille constante sur le marché pour rechercher ce qui pourrait être réemployé en fonction de nos opérations en cours.
On peut aussi faire face à la difficulté de convaincre les maîtres d’ouvrage et les clients de faire appel au réemploi, surtout s’ils se projettent dans des espaces assez figés, mais c’est un problème qu’on rencontre peu. Chez Faire Avec, on a donc une démarche où on conçoit plutôt des volumes ou des espaces selon les matériaux disponibles pour garantir une certaine flexibilité sur nos projets.
Donnons : En parlant de matériaux, comment réussissez-vous à approvisionner ?
Clara : Aux débuts de Faire Avec, on utilisait surtout les contacts de Clothilde, qui avait déjà un pied dans le réemploi. C’est le bouche-à-oreille qui nous avait permis de constituer un réseau de partenaires. Ceux qui connaissaient notre initiative nous signalaient régulièrement des opportunités de réemploi. Aujourd’hui, la filière se structure de plus en plus et de plus en plus de partenaires s’institutionnalisent, des revendeurs comme Cycle Up, Backacia, ou des bureaux d’études comme Green Affair par exemple, qui nous notifient quand des matériaux sont disponibles. De notre côté, on peut leur envoyer une liste de besoins pour un chantier, et ils nous communiquent les opportunités présentes dans leur base de données. D’autres architectes nous contactent aussi lors de la déconstruction de chantiers pour nous indiquer ce qui peut être récupéré. C’est vraiment un travail collaboratif qui exige de la flexibilité, qui nous permet de récupérer des matériaux de qualité et de les intégrer dans nos différents projets.
Donnons : Est-ce que tu as vu une évolution, par rapport à la sensibilisation au réemploi, dans le secteur de l’architecture ?
Clara : Complètement ! Il y a des avancées réglementaires qui facilitent le développement de cette pratique. Par exemple, le diagnostic PEMD (Produit Équipement Matériaux Déchet) est devenu obligatoire depuis l’été dernier, il oblige les acteurs à communiquer sur les matériaux réemployables sur un chantier. Faire Avec a récemment obtenu la certification PEMD, ce qui nous permet de nous rendre sur différents chantiers pour identifier les matériaux réemployables grâce à notre expertise.
En parallèle, il y a aussi ce qu’on appelle un “diagnostic ressource”, qui permet à chaque architecte d’identifier les opportunités de réemploi avant la déconstruction de ses chantiers. Ce diagnostic permet de dresser un inventaire des matériaux réutilisables, ce qui est très utile pour planifier leur réemploi.
Et de manière générale, il y a quand eu une évolution au niveau des mentalités. Même s’il reste parfois compliqué de convaincre les acteurs à réemployer un maximum à cause de la chaîne de responsabilité mal définie au niveau de l’apport des matériaux, du rôle de chaque acteur etc, nous sentons un réel essor de la pratique.
Donnons.org : Tu peux nous parler de quelques projets marquants que vous avez réalisés ?
Clara : Un des plus marquants a été le projet de transformation de l’ancien Musée de la Libération à Montparnasse en centre d’hébergement temporaire pour l’Armée du Salut, avec qui nous travaillons depuis très régulièrement. C’était très enrichissant, car l’Armée du Salut nous a approché avec ce projet en étant déjà très sensibilisé aux valeurs que nous portions. Chacun a vraiment mis la main à la pâte pour réaliser ce projet. Ça nous a aussi permis de nous rapprocher d’une entreprise avec laquelle l’Armée du Salut travaillait et de les sensibiliser au réemploi par exemple en listant avec eux le surplus de matériaux qu’ils avaient.
Donnons : C’est quoi le matériau le plus difficile à réemployer ?
Clara : Ah, bonne question ! De façon générale, je dirai les produits composites, les matériaux collés donc très difficiles à déposer ou encore les équipements de mauvaise qualité. Dans un chantier de déconstruction, on se retrouve face à nos habitudes de construction, où les matériaux sont souvent peu qualitatifs, rarement démontables, souvent obsolètes, on réalise à quel point il est nécessaire de repenser la construction en parallèle.
Je dirais que le carrelage est un bon exemple. Collé, il nécessite d’être déposé avec soin puis le mortier de ciment doit être retiré à l’acide. De plus, en conception, ça nous prend beaucoup de temps pour ajuster les dimensions et les volumes récupérés, parce qu’il faut que tout colle parfaitement sur le chantier. C’est pour ça que nous avons plutôt travaillé avec du carrelage issu de surplus de chantier ou erreur de commandes, un matériau neuf mais destiné à la benne que nous avons plus simplement remis en œuvre.
Pour d’autres matériaux, comme tout ce qui est lumière et éclairage, on fait appel à des partenaires comme Concepteurs Lumière Sans Frontières (CLSF). Ils ont une réelle plus-value sur le chantier car en plus de réemployer et d’installer les éclairages en garantissant une réelle qualité de lumière, ils proposent aussi différents ateliers de prévention pour sensibiliser à la consommation d’énergie et apprendre à moduler la lumière artificielle.
Crédit photos : Eléonore Secondi.
Donnons : Vous travaillez plutôt avec des associations qu’avec des particuliers, pourquoi ?
Clara : Les associations avec lesquelles on travaille partagent nos valeurs et notre vision de l’architecture sociale, et on peut alors se concentrer sur des projets qui ont une forte valeur sociale comme les centres d’hébergement. Au départ, Faire Avec était une association puisqu’on se disait que les matériaux allaient juste transiter par nous, ce qui nous a permis de nous constituer un réseau de partenaires associatifs. On ne travaille pas du tout avec les particuliers, mais on constate un vrai engouement de leur part, et on sent que les gens sont disposés à aider et à réemployer. Par exemple, on a reçu en 2019 une vague de mails qui nous proposaient de récupérer plusieurs objets mais ce ne sont pas des choses qu’on peut réemployer en chantier.
Donnons.org : Merci beaucoup Clara pour cet entretien et de nous avoir présenté un peu ce monde qui nous est inconnu, c’était super intéressant ! J’espère qu’on aura l’occasion de se recroiser, peut-être sur sur Donnons.org ?
Clara : Merci à vous ! On espère que cet article aidera à sensibiliser encore plus de monde à l’importance du réemploi dans l’architecture. À bientôt !