La semaine dernière nous avons eu la chance de rencontrer Karen Birstein, co-directrice de l’association Rejoué, spécialisée dans le réemploi de jouets. Celui-ci fait bien évidemment sens d’un point de vue écologique et économique, mais l’association Rejoué met un point d’honneur à y associer un projet social, et ainsi maximiser son impact. En cette période de Noël, forcément chargée pour cette organisation, Karen Birstein nous donne son point de vue sur ce secteur en pleine évolution.
Bonjour Karen, pouvez-vous nous présenter l’association Rejoué ?
L’association Rejoué a été créée par Claire Tournefier en 2010. A l’époque Claire était jeune maman et réalise que les jouets engendrent une quantité de déchets phénoménale. On estime qu’environ 100 000 tonnes de jouets sont jetées chaque année, soit l’équivalent de 10 Tour Eiffel. Elle s’aperçoit aussi que mener sa vie professionnelle et éduquer un enfant sont des tâches difficiles à concilier, d’autant plus pour des personnes en difficulté. C’est sur ces constats qu’elle décide de fonder Rejoué, qui non seulement réemploie des jouets et les vend à des prix solidaires dans ses boutiques, mais propose aussi un accompagnement socio-professionnel des personnes éloignées de l’emploi. Rejoué, après 14 ans d’existence, répond autant aux problématiques de surconsommation qu’ à celles d’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi .
Comment fonctionne Rejoué ?
Rejoué repose sur trois piliers. Le premier, celui qui est vraiment au cœur de la mission de l’association, est la question sociale. Avec cet accompagnement des personnes éloignées de l’emploi, nous faisons en sorte que le réemploi ait aussi une portée sociale. Le second pilier, c’est la mission environnementale : réemployer les jouets c’est réduire les déchets. Et les jouets ont un très gros potentiel de réemploi, car la plupart sont en parfait état au moment où les enfants les délaissent. Il faut savoir que 70% des jouets sont utilisés, en moyenne 8 mois. Le troisième pilier, c’est la mission solidaire, dont l’objectif est de permettre l’accès aux jouets pour tous, soit via des “prix solidaires”, soit en donnant directement les jouets à des enfants dans le besoin. Enfin, la sensibilisation constitue la mission transverse à ces trois piliers. Parce que le réemploi de jouets n’est encore pas assez connu, le réemploi tout court d’ailleurs.
On a mis en place tout un processus de collecte, de nettoyage et de réemploi qui va répondre à chacun de ces objectifs. La collecte de jouets se fait auprès de particuliers qui déposent leurs jouets dans nos boutiques ou à notre atelier, ou auprès d’institutions publiques comme des écoles ou des collectivités lors de collectes solidaires.
Une fois ces jouets collectés, nos salariés vont les trier, les nettoyer avec des produits écologiques, de l’eau, du vinaigre et du bicarbonate et vont éventuellement les compléter quand c’est possible. Nous les remettons ensuite sur le marché, soit à des prix solidaires, soit en les donnant directement à des associations.
Pouvez-vous nous parler un peu de l’impact de l’association ?
Depuis que l’association a été créée, nous avons collecté 415 tonnes de jouets. Et nous collectons entre 30 et 40 tonnes par an de jouets. Nous accompagnons en moyenne 70 personnes par an. Nous avons offert aux enfants et aux associations, dans le cadre de nos opérations de solidarité, plus de 57 000 jouets. Pour 2023 par exemple, nous avions collecté 33 tonnes de jouets et nous avions référencé 82 000 jouets.
Avez-vous vu une évolution, au fil des ans, de l’intérêt des gens à acheter des jouets réemployés plutôt que neufs ?
On s’aperçoit que le réemploi est en pleine évolution en France. De nombreux nouveaux acteurs émergent, et c’est un réflexe qui commence à s’ancrer chez les gens. Chez Rejoué, nous le constatons dans nos ventes, qui suivent cette progression. De plus en plus de personnes consomment des objets de seconde main et prennent conscience de l’impact de la surconsommation sur de nombreux aspects. Mais, en même temps, nous vivons une période un peu schizophrène : on observe également une forte émergence d’acteurs et de marketplaces qui proposent une multitude d’objets très bon marché, de très mauvaise qualité, peu durables et quasiment impossibles à réemployer. Et cela, malheureusement, ne se limite pas aux jouets.
Comment faire pour sensibiliser le grand public au réemploi, et plus spécifiquement, au réemploi d’objets ?
D’après moi, un des points clés pour sensibiliser le grand public au réemploi de jouets est de décorréler le don et l’achat de produits neufs, notamment à travers des bons d’achat. Il est vraiment nécessaire de sensibiliser les gens à rentrer dans une consommation plus raisonnée, porteuse de valeurs liées à l’économie circulaire. Le don de jouets, et plus généralement le don d’objets, devrait être désintéressé.
Qu’est-ce qui vous porte au quotidien ?
Ce qui est particulièrement gratifiant, c’est de voir les salariés en insertion tracer leur chemin vers de nouveaux horizons. Lorsqu’ils décrochent un emploi ou accèdent à une formation qualifiante, cela nous rappelle que nos efforts portent véritablement leurs fruits. Le projet que nous portons est à la fois puissant et porteur de sens, s’inscrivant pleinement dans des valeurs sociales, environnementales et solidaires. Nous sommes fiers et heureux de contribuer à cette mission au sein de l’association.
Par exemple, une personne en réinsertion chez nous a récemment ouvert son propre pressing, devenant ainsi chef d’entreprise. Cette réussite est une immense source de joie et de fierté pour notre équipe. Il est également important de souligner que notre taux de sortie positive atteint 58 %, ce qui signifie que plus d’une personne sur deux ayant passé du temps avec nous retrouve une activité professionnelle ou qualifiante par la suite.
Quelle est l’ambition de Rejoué ?
On a vraiment à cœur de faire comprendre aux différents acteurs que le réemploi prend tout son sens quand il est aussi porteur d’un projet social. Notre objectif, dans les années à venir, est donc de continuer à sensibiliser les gens à réemployer, et qu’ils prennent conscience que le réemploi a de nombreuses vertus sociales.
Nous continuerons de développer un écosystème autour de nous pour pour ancrer ces valeurs de d’économie circulaire et d’inclusion.
Si vous pouviez changer quelque chose pour favoriser le réemploi, que feriez-vous ?
Si je pouvais changer une chose aujourd’hui pour accélérer la transition vers une économie circulaire, ce serait d’interdire la production et la vente de produits de mauvaise qualité et peu durables, c’est-à-dire tout ce qui ne peut pas être réemployé. En parallèle, il faudrait encourager fortement l’éco-conception. Bien que cela soit déjà inscrit dans la loi Agec, il est essentiel d’aller beaucoup plus loin. Il est temps de mettre fin à la production et à la consommation de produits jetables, conçus pour avoir une durée de vie extrêmement limitée.